Par Dr Ibrahima NDIAYE, Psychiatre et addictologue au CEPIAD (Centre de prise en charge intégrée des addictions de Dakar)
Pendant très longtemps l’usager de drogues était considéré par le grand public comme un malade mental et sa prise en charge ne devait relever que du domaine de la psychiatrie. Ainsi les consommateurs de drogues étaient suivis dans les différents services de psychiatrie existants. Cette approche ne marchait pas et les patients faisaient souvent des rechutes.
Par ailleurs, les usagers de drogues faisaient l’objet de beaucoup de stigmatisations notamment dans les structures de soins. Rares étaient ceux qui déclaraient être consommateurs de drogues comme l’ont rapporté beaucoup de nos patients. Les complications secondaires à leur prise de drogues étaient multiples. Il n’était pas rare de voir des usagers mourir d’overdose en présence d’autres usagers sans que ces derniers ne préviennent les secours par peur d’être arrêtés.
Contraintes globales de la prise en charge des consommateurs de drogues au SENEGAL
La prise en charge des consommateurs de drogues au Sénégal est confrontée à beaucoup d’obstacles parmi lesquels : l’insuffisance de structures de prise en charge et de ressources humaines qualifiées, des moyens financiers limités (équipement et motivation du personnel), un cadre légal répressif vis-à-vis de l’usager de drogue, un défaut d’insertion et réinsertion socioprofessionnelle des usagers stables, entre autres.
Dépendance aux drogues : du statut de délinquant à celui de malade
Pendant très longtemps, la consommation au Sénégal de drogues dites « injectables », telles que l’héroïne et la cocaïne, était déniée. Pourtant une évaluation rapide de la situation de la drogue au Sénégal réalisée en 2004-2005 par le CILD (comité interministériel de lutte contre les drogues) avec l’appui de l’ONUDC (l’organisation des nations unies contre les drogues et la criminalité) avait confirmé la consommation de cocaïne, de crack et d’héroïne ainsi que le recours à l’injection dans plusieurs régions du pays. En 2011, une étude dénommée UDSEN (Usagers de Drogues au Sénégal) a montré que non seulement l’usage de drogues injectables était présent au Sénégal mais aussi que ces usagers étaient très exposés au VIH et à l’hépatite C. L’une des recommandations de cette étude était de mettre à la disposition des usagers de drogues des structures adaptées pour leur prise en charge. C’est ainsi qu’est né le CEPIAD dont l’une des missions est d’être un centre de référence dans la prise en charge mais aussi le leadership en matière de formation, de recherche et de mise en place de structure de prise en charge des consommateurs de drogues.
C’est ainsi que le CEPIAD a organisé des sessions de formation en direction des forces de sécurité, des parlementaires, des personnels soignants entre autres. Ces formations avaient pour objectifs de faire évoluer les idées en matière de drogue et surtout de faire comprendre et accepter que l’usager de drogue est avant tout un malade et qu’il a plus besoin d’une prise en charge. Cette prise en charge peut englober la prévention et le traitement de la dépendance dont les bases neurobiologiques sont bien établies. En effet, la dépendance est reconnue comme une maladie du cerveau.
Mise en place de structures de prise en charge au niveau central et décentralisé
Au CEPIAD, nous avons un modèle d’intégration des soins c’est-à-dire que l’usager qui s’y présente devrait pouvoir y trouver l’ensemble des soins dont il a besoin que ce soit pour sa dépendance mais aussi pour les autres maladies ou problèmes de santé pouvant accompagner ou compliquer cette consommation de drogues (VIH, autres infections, etc.).
Cependant, ce modèle du CEPIAD ne peut pas être dupliqué partout au Sénégal du fait de ressources limitées. Néanmoins des initiatives sont en train d’être menées en matière de décentralisation des soins. Comme structures décentralisées nous avons l’UPAM (Unité de prise en charge des addictions de Mbour), le service d’addictologie de Thiaroye où des hospitalisations seront proposées.
Il faut aussi un personnel qualifié pour bien prendre en charge les usagers de drogues. C’est ainsi que des sessions de formation sont régulièrement organisées dans les régions du pays grâce à la confection de modules de formation sur la prise en charge des consommateurs de drogues. L’idée est de permettre aux usagers de pouvoir bénéficier, dans n’importe quelle structure du pays, d’une prise en charge adaptée à ses besoins.
Toujours dans le cadre de la décentralisation, une autre unité de prise en charge est prévue à Kaolack où avec le Programme Régional de Réduction des risques chez les CDI en Afrique de l’Ouest (PARECO), une enquête biocomportementale (enquête de prévalence VIH, VHB, VHC, Tuberculose et pratiques à risques) est en cours de réalisation.
Le CEPIAD a aussi participé à la mise en place d’un diplôme universitaire d’addictologie à l’université Cheikh Anta DIOP de Dakar.
ENJEUX DE CE CHANGEMENT DE PARADIGME
Ce changement de paradigme se voit à travers la reconnaissance de la dépendance aux drogues comme étant une maladie. Qui dit maladie, dit traitement. Donc les usagers de drogues ont plus besoin de traitement. Ceci est reconnu par le CILD qui a élaboré un plan stratégique de lutte contre les drogues dans lequel la prise en charge du consommateur de drogue occupe une partie très importante.
Ainsi, les enjeux de ce changement de paradigme peuvent être identifiés à différents niveaux
- Pour les usagers :
Cela permet de disposer de structures sanitaires de proximité, d’améliorer la santé des usagers (dépendance, réduction des risques infectieux notamment), d’avoir un programme de substitution au niveau décentralisé et de favoriser une meilleure insertion socio-professionnelle
- Au niveau des structures de prise en charge
Nous aurons une synergie des actions, une harmonisation des approches de prise en charge en matière de réduction des risques, de référencement, un registre d’identifiant national des usagers, un cadre général de partage des expériences, des unités de prise en charge décentralisées, des ressources humaines qualifiées et suffisantes.
- Au niveau de l’Etat
Cette nouvelle approche permet de réduire l’insécurité, de prévenir de nouvelles infections par le VIH chez les consommateurs de drogues. Elle permet l’inclusion et la participation des anciens usagers dans le développement du pays.
Il est prévu une réforme du code des drogues avec un cadre réglementant les activités de réduction de risques liés à la consommation de drogues.
Par ailleurs l’opérationnalité de l’injonction thérapeutique est à comprendre comme une alternative à l’emprisonnement de l’usager de drogue.
Parmi les objectifs visés, il est nécessaire d’assurer la disponibilité de données fiables en matière de drogue (profil des consommateurs, tendances nouvelles…) afin d’élaborer une meilleure politique de lutte contre les drogues notamment au niveau de la réduction de la demande.
La prise en charge des addictions donc est une question d’intérêt national et de santé publique qui nécessite un renforcement et une pérennisation des acquis. Il en de même pour le plaidoyer pour que le Sénégal puisse atteindre les objectifs fixés en matière de prise en charge des consommateurs de drogues.