« Le paludisme revient en Afrique et ce n’est pas qu’un problème de santé »

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Célestin Monga est vice-président, gouvernance économique et gestion des savoirs du groupe de la banque africaine de développement. Il enseigne aussi aux Universités de Paris 1-Panthéon-Sorbonne (France) et de Pékin (Chine). Il a été auparavant directeur général adjoint de l’Organisation des Nations-unies pour le développement industriel (ONUDI) et conseiller-directeur à la Banque mondiale. 

Josselin Thuilliez est chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Il travaille au centre d’Economie de la Sorbonne (unité de recherche commune entre le CNRS et l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne). Il y dirige le groupe de recherche en économie du développement durable. Il est également chercheur associé à la Fondation pour les Etudes et Recherches sur le Développement International (FERDI). Il a été chercheur invité à l’Université de Princeton ainsi qu’au Centre de Recherche et de Formation sur le Paludisme (MRTC) à l’Université de Bamako et a reçu de nombreux prix pour ses travaux sur le paludisme.

Le paludisme reste une menace majeure, particulièrement en Afrique subsaharienne où sévissent à la fois les espèces d’anophèles – le vecteur du paludisme – les plus efficaces, et le parasite Plasmodium falciparum, responsable d’une grande majorité des décès, imposant un lourd tribut humain et économique.

Plusieurs études ont montré que l’intensification des efforts de lutte contre le paludisme au XXIème siècle depuis la création de Roll Back Malaria en 1998, a réduit de moitié les décès liés au paludisme dans le monde entre 2000 et 2014. Si elle est confirmée et soutenue, cette baisse se traduirait par une forte augmentation de l’espérance de vie. Le paludisme tue en effet principalement des enfants.

Cependant l’aide internationale verticale, c’est-à-dire l’aide allouée au paludisme, n’est plus une priorité, même si elle peut être très efficace. Cette aide décline pour plusieurs raisons. Elle décline du fait d’un passage des Objectifs du Millénaire aux Objectifs de Développement Durable et donc d’un changement de paradigmes. Elle décline du fait des difficultés à évaluer son efficacité de façon ciblée et convaincante. Enfin, elle est probablement victime de son succès : le paludisme en tant que menace déclinante ne constituerait plus une priorité. Malheureusement et comme une piqûre de rappel, selon le dernier rapport mondial de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) sur le paludisme, le nombre de cas de paludisme a augmenté dans plusieurs pays en 2016, suggérant que les progrès ont stagné depuis 2014 dans la lutte mondiale contre la maladie.

L’équation qui consiste à cibler durablement, grâce à l’aide au développement, les personnes les plus nécessiteuses tout en étant efficace est-elle impossible à résoudre avec les moyens actuels? Il n’y a pas de réponse simple à cette question. D’un côté les budgets sont restreints et contraignent les décideurs puisque les ressources ne doivent pas être gaspillées. D’un autre côté, le coût humain est tel qu’il pourrait justifier à lui seul un investissement à n’importe quel prix. L’évaluation économique peut sans doute aider à concilier ces deux visions.

Les campagnes de lutte à grande échelle contre le paludisme et l’aide à la santé en général sont difficiles à évaluer pour de nombreuses raisons. Premièrement, l’aide est souvent allouée là où elle a le plus de chances d’être utilisée efficacement et non là où les nécessités sont les plus grandes. Deuxièmement, les succès à court terme sont plus visibles que les efforts de long terme et plus simples à évaluer. Troisièmement, mener des expérimentations à grande échelle et à long terme est difficile et comporte des biais.

Effets économiques non négligeables

Cependant, l’aide publique à la santé fournit de façon évidente une réponse complémentaire aux dépenses privées de santé qui constituent toujours en Afrique une large proportion des dépenses. L’aide publique couvre aussi des besoins collectifs que les dépenses privées ne peuvent satisfaire seules. Les effets positifs à long terme sont également trop souvent négligés. La lutte contre le paludisme peut avoir des effets économiques non négligeables en Afrique. Une étude menée sur les effets économiques de l’aide au paludisme montre que la campagne réduit la mortalité infantile et la fécondité. La campagne augmente également l’offre de main-d’œuvre adulte et le niveau de scolarité. Le paludisme a des effets méconnus sur l’éducation, via ses effets sur l’absentéisme scolaire, sur les résultats scolaires, et sur les taux de redoublement ou d’achèvement. Plus largement, le paludisme affecte la cognition des enfants qui constitueront les forces vives du développement de demain. Tous ces mécanismes affectent le développement économique et entretiennent des pièges de pauvreté.

Bien entendu, cette recrudescence du paludisme, en apparence soudaine, n’est pas seulement liée au déclin de l’aide. Les phénomènes de résistance, tant des moustiques vecteurs de la maladie aux insecticides que du parasite aux traitements combinés, contribuent aussi à ce risque résurgent. Les recherches hors du champ de l’économie sont là pour nous aider à trouver de nouveaux moyens de lutte et à mieux comprendre ces mécanismes.

Investissement dans la fabrication locale de médicaments

Les gouvernements africains pourraient également intensifier leurs efforts en matière de financement de la santé et de mobilisation des ressources nationales pour aller au-delà de l’aide. Certains acteurs économiques, comme la Banque Africaine de Développement, s’inquiètent de la recrudescence du paludisme dans la région et plaident en ce sens. Le paludisme contraint les économies nationales et appauvrit les ménages africains. L’Afrique devrait par conséquent investir dans la fabrication locale de médicaments génériques à faible coût pour faciliter l’accès au traitement pour ses habitants.

Récemment, en septembre 2016, le Sri Lanka, un petit pays insulaire de l’océan Indien au niveau de développement comparable à celui de nombreux pays africains, avec un produit intérieur brut par habitant (PIB) de seulement 3.800 dollars, a été déclaré indemne de paludisme par l’Organisation Mondiale de la Santé. La nouvelle a fait quelques manchettes mais l’événement est passé en grande partie inaperçu. Pourtant, ce fut un événement mémorable, non seulement pour le Sri Lanka, mais aussi pour la communauté mondiale des Nations. Il s’agit d’un rappel éloquent que même les défis socioéconomiques les plus terribles, car le paludisme est un défi multidimensionnel, peuvent être surmontés avec la bonne stratégie, le bon engagement, des financements, et des capacités de mise en œuvre.

Josselin Thuilliez et Célestin Monga

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